lundi 7 décembre 2009

Quelques réflexions sur la culture

La pérennité de la culture québécoise en Amérique du Nord a toujours représenté un défi. Dans le passé et encore aujourd’hui la population québécoise a démontré une résilience peu commune non seulement pour conserver et défendre sa langue, mais a aussi fait preuve également d’une formidable capacité d’adaptation et d’intégration. Les récents débats sur les accommodements raisonnables et la multiplication des organismes de défense de la langue française témoignent d’une préoccupation pour la langue et la culture. Certains étudiants n’hésitent pas à nous interpeller comme l’a fait récemment un étudiant du cégep de Joliette. C’est dans ce contexte que le présent document a été écrit et que je vous livre ici.

Une définition

Je crois qu’avant de parler de culture il est important de définir ce dont on parle. Qu’est-ce que la culture? Est-ce uniquement la langue ou plus encore? S’il est aisé de reconnaître que la langue est un élément important de la culture, il n’est pas le seul.

Des philosophes ont dit de la culture qu’elle était plurielle. Qu’elle témoigne de nos créations littéraires, théâtrales, musicales ou cinématographiques, mais aussi de nos goûts alimentaires par exemple, de notre habillement, de notre architecture, de nos mœurs, de nos coutumes, de nos rituels profanes et religieux. Bref, la culture comme on peut le voir ne se limite pas qu’à la langue.

Cela dit, toutes les cultures s’inscrivent dans le temps et dans l’espace. La culture n’est pas une notion désincarnée. Elle s’inscrit dans un continuum en perpétuelle évolution. Je m’explique. Nos ancêtres n’avaient pas la même notion ni les mêmes référents culturels que nous. C’est donc dire que la culture n’est pas statique. Elle évolue, elle change, elle subit des influences, elle est vivante en somme. Et c’est bien qu’il en soit ainsi. Une culture statique peut facilement se folkloriser et ainsi devenir un frein plutôt qu’un élément dynamique et d’avant-garde, un témoin et un moteur de la modernité. La culture est aussi fonction du lieu géographique où elle s’inscrit. C’est l’espace. En résumé, notre conception de la culture est façonnée d’éléments multiples dont certains échappent à notre contrôle et qui viennent, souvent à notre insu, teinter la perception que l’on se fait de la culture. La culture québécoise est le résultat d’influences françaises, britanniques ou autochtones. C’est un carrefour d’influences qui s’exprime à partir du Québec en français et qui caractérise la nation québécoise.

Cela m’amène à la problématique que vous me soumettez. La culture québécoise peut-elle s’accommoder, voire cautionner que des artistes francophones produisent des œuvres dans d’autres langues que le français?


L’individuel et le collectif

La nation québécoise s’inscrit dans une société et une culture particulières. Pour assurer l’existence d’une nation citoyenne été non ethnique, il faut que les individus admettent qu’il existe un espace public unifié, indépendant, du moins en principe, des liens et solidarités religieuses, ethniques et familiales. Il faut aussi qu’ils respectent les règles et les valeurs qui fondent cette nation. Ainsi au Québec, si chacun a le droit de pratiquer toutes les langues dans le domaine privé, le français est la seule langue officielle et commune dans la vie publique. La loi 101 qui a été affaiblie à plusieurs reprises par les décisions de la Cour suprême du Canada constitue une action de l’État québécois qui va dans ce sens. De même, l’État québécois a la responsabilité d’entretenir une culture commune qui s’enrichit, comme je le disais, de plusieurs apports y compris celles des nouveaux arrivants, mais qui renforce l’identité nationale et la société politique.

Mais là encore, il y a la sphère privée et la sphère publique. Un artiste ou un créateur québécois peut très bien à mon sens dans le cadre d’une démarche artistique ou d’un cheminement professionnel décider de produire dans une autre langue, une oeuvre sans que son appartenance à la nation québécoise ne soit remise en cause. On peut aussi considérer qu’un artiste étranger contribue à enrichir la culture québécoise. Je pense au Cirque du Soleil qui est une vision québécoise du cirque, mais engage des acrobates de partout dans le monde.

Par contre, l’État québécois a la responsabilité de soutenir vigoureusement la culture commune de la nation québécoise, sans l’orienter autrement qu’en s’assurant que les créateurs au Québec puissent exprimer leur créativité et que l’expression en français soit soutenue. Il faut ici rappeler que la nation québécoise compte en son sein une minorité linguistique, les anglo-québécois qui ont des droits historiques. Cette minorité linguistique enrichit la culture commune et constitue un pont entre le Canada et les États-Unis. Ce qui m’amène à traiter du point suivant.



Impérialisme politique et impérialisme culturel.

Notre conception de la culture varie également selon que notre pays est une puissance impérialiste et dominante ou selon que notre culture est une culture minoritaire comme c’est le cas au Québec, notamment, et en état de danger permanent. Et c’est à ce point précis que s’inscrit votre interrogation quant à savoir s’il est acceptable qu’un Québécois francophone de surcroît produise des films en langue anglaise. Pourquoi ne le pourrait-il pas? En quoi est-ce une attitude condamnable? En quoi est-ce contestable? Accepterions-nous plus facilement qu’il réalise des films en langue russe? En japonais? Pourquoi? Comment expliquer le sentiment légitime de fierté que nous ressentirions si cet artiste réalisait des œuvres qu’il s’agisse de films, d’opéra, de livres, dans une langue autre que le français, faisant preuve alors d’une magnifique ouverture pour les autres cultures. Et pourquoi, lorsqu’il s’agit de la culture anglo-saxonne la même attitude ne se défendrait-elle pas? Qu’est-ce que la culture anglo-américaine véhicule qui la rend si rébarbative à certains d’entre nous? Je tente une explication. Se pourrait-il que la domination sans partage dans le paysage culturel mondial de la langue et de la culture anglo-américaine puisse réveiller chez certains un sentiment de méfiance? Le caractère impérialiste de la langue anglaise et partant de sa culture est réel. Cet impérialisme pas toujours conscient et pas toujours volontaire réveille chez certains des sentiments de résistance.

Comment dans ce contexte concilier ouverture et combat? Car il ne fait aucun doute que toutes les cultures sont en compétition devant la culture anglo-américaine. À tort ou à raison, les autres cultures peuvent se sentir menacées par cette domination sans partage et il est peut-être normal devant ce phénomène que l’on voie comme une « trahison » toute collaboration d’un non-anglophone au développement et au rayonnement de cette culture si dominante. Le réflexe étant : cette culture est assez dominante comme cela, pas besoin que des talents locaux se mettent à son service.


Une telle réflexion ce me semble, confond l’individuel et le collectif, le politique et la création culturelle. La culture est vue alors comme l’ultime rempart pour l’expression d’une spécificité qui demande à s’exprimer face à l’impérialisme de la culture anglo-américaine. Dans un tel contexte, la culture de l’autre et particulièrement la culture anglo-saxonne est vue alors comme un vecteur de la domination politique existante et d’homogénéisation des différences culturelles. C’est dans cette optique que s’est inscrit le combat qu’a mené le Québec pour la Convention pour la diversité culturelle à l’UNESCO. Par cette reconnaissance on évitait que la culture ne devienne une marchandise comme les autres et ne soit elle aussi soumise à l’impérialisme marchand dominant entendre ici anglo- américain. À cet égard, les propos de David Puttnam, un ancien président de Columbia Pictures, un des majors du cinéma étatsunien sont éclairants :

« Le cinéma et la télévision modèlent des attitudes, font naître des conventions de style, de comportement et, ce faisant, réaffirment ou discréditent les valeurs plus générales de la société. […] Un film peut refléter ou saper notre sentiment d’identité en tant qu’individus et en tant que nations. »
Cité in : Cinémaction, numéro hors-série 2002, p. 20.


Ce qui nous amène à nous demander s’il est possible d’évacuer le politique lorsqu’il est question de culture? Personnellement je répondrais positivement à cette question au plan des personnes, tout en reconnaissant qu’au plan collectif elles sont intimement imbriquées.

La culture comme espace de liberté

Personnellement je crois qu’il faut faire le pari de la liberté d’expression. Car si l’espace culturel ne permet pas une totale liberté, il y a peu d’endroits où la création pourra s’épanouir. Il faut garder à l’esprit que la langue qui est un instrument essentiel par lequel s’instaure et se maintient la vie démocratique n’est qu’un véhicule pour la transmission de la sensibilité du créateur. Ce n’est pas le rôle de la culture d’emprisonner; au contraire, la culture même minoritaire doit être un espace de liberté. Qu’en pensez-vous?

Pierre Paquette
Député de Joliette
Leader parlementaire du Bloc Québécois

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