mercredi 21 avril 2010

Le Québec perd encore plus du poids


À la veille du congé pascal, les conservateurs ont déposé leur projet de loi pour modifier la représentation électorale à la Chambre des communes. C'est donc dire que le nombre de sièges à la Chambre serait augmenté de trente élus si ce projet devait être adopté. Ces trente sièges se répartiront de la façon suivante : l'Ontario aurait 18 sièges de plus, la Colombie-Britannique en compterait sept et l'Alberta, cinq. Ce projet de loi vient confirmer les propos de Tom Flanagan, un proche conseiller de Stephen Harper.

Tom Flanagan. Vous ne le connaissez pas? Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, Tom Flanagan est un éminent professeur qui enseigne à l’université de Calgary. Depuis quelques années il gravite autour de la droite canadienne et est devenu au fil des ans le maître à penser des conservateurs et des partis qui les ont précédés, l’Alliance canadienne et le Reform Party. Il fait partie du « cercle rapproché » du premier ministre canadien Stephen Harper. Il a dirigé plusieurs campagnes pour Stephen Harper : la course au leadership de l’Alliance canadienne en 2002, du Parti conservateur du Canada en 2004 et la campagne électorale des conservateurs en 2004. Il a été également le conseiller principal en communication du Parti conservateur et membre de la « cellule de crise » durant la campagne électorale de 2005-2006. Depuis il est rentré dans ses terres albertaines, mais intervient de temps en temps pour commenter l’actualité politique. Ce qui m’amène à vous parler de lui aujourd’hui ce sont ses récentes prédictions.

Le savant professeur vient de dire tout haut ce que plusieurs conservateurs pensent tout bas. À cause de popularité du Bloc Québécois, Stephen Harper ne pourra obtenir de gouvernement majoritaire. Ni les conservateurs, ni aucune autre formation politique d’ailleurs. Selon Flanagan la seule solution pour contourner cet écueil consiste à ajouter une trentaine de sièges à la carte électorale en 2014 pour refléter l’augmentation des populations en Alberta et en Colombie-Britannique que ne manquera pas de révéler le recensement démographique prévu en 2011. Les provinces de l’Ouest ne sont pas les seules à réclamer une augmentation de leur représentation électorale, l’Ontario aussi veut avoir sa part. Cette refonte de la carte électorale n’est pas sans conséquence sur le poids du Québec dans la Chambre des communes. Il n’est pas besoin d’être très fort en mathématique pour se rendre compte que tout ajout de sièges à la Chambre sans aucune compensation pour le Québec se traduira par une diminution du poids politique du Québec dans la Chambre et sur sa capacité de se faire entendre dans les institutions fédérales. Il est bon de se rappeler que le Québec a déjà représenté 50 % du poids de la Chambre. D’une réforme à l’autre, d’une augmentation à l’autre le poids du Québec s’est dilué pour ne représenter aujourd’hui que quelque 24,3 % de la députation fédérale. L’ajout de trente nouveaux sièges signifierait que le Québec verrait encore son poids et son influence politique réduit de quelques points de pourcentage, 22,1 % pour être exact, soit moins que son poids démographique. Ce qui est inadmissible.

Eh bien, les prévisions du maître se réalisent et l’élève Harper vient de déposer un projet de loi qui va exactement dans la direction identifiée par Flanagan. Changer les règles du jeu quand on perd est un vieux truc que les partis fédéraux n’hésitent pas à utiliser quand les institutions les desservent. Ils l’ont fait avec le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982 et ils s’apprêtent à répéter le coup avec l’augmentation de la représentation à la Chambre des communes.

Le ministre responsable de la réforme pense temporiser les craintes du Québec en faisant valoir que le Québec est protégé puisque l’actuelle constitution lui assure, quelque soit sa population, un nombre de sièges qui ne peut être inférieur à 75. La belle affaire!!! Il ne faut pas être un ingénieur en astrophysique pour deviner qu’à ce rythme le poids du Québec s’en va lentement mais sûrement vers l’insignifiance politique. Le ministre ignore ou feint d’ignorer qu’il existe une distinction importante entre la représentation proportionnelle à la population et la représentation effective. C’est ce qu’une décision de la Cour suprême de 1991 affirmait lorsqu’elle écrivait que « l’objet du droit de vote garanti à l’article à l’article 3 de la Charte n’est pas l’égalité du pouvoir en soi, mais le droit à une représentation effective. » Ces propos ont été rapportés par Manon Cornellier dans un récent article paru dans Le Devoir.

Pourtant, il existe des exceptions à ce principe de la représentation électorale selon la population. Il y a ce qu’on appelle l’exception sénatoriale que l’on applique aux Maritimes et qui consiste à garantir que le nombre de sièges attribués à une province à la Chambre des communes ne sera jamais inférieur au nombre de sénateur qu’elle possède déjà. Des compromis sont donc possibles. À la condition que l’on veuille en faire. Mais il ne semble pas que ce soit le cas. Si les conservateurs persistent dans leur refus, il faudra en conclure que la reconnaissance la nation québécoise n’était qu’une manœuvre électoraliste sans lendemain. Il ne faut pas voir dans ce projet un vilain complot dirigé contre le Québec, mais bien plutôt la logique du « nation building » canadien dans lequel le Québec n’a pas sa place. Paraphrasant Pierre Vadeboncoeur l’érosion de l’influence du Québec dans la fédération canadienne fait partie de l’ADN du Canada. Il devient chaque jour impérieux de rompre avec un régime qui destine la nation québécoise à l’insignifiance et seule la souveraineté nationale pourra nous redonner 100 % de nos pouvoirs politiques.


Pierre Paquette
Député de Joliette
et leader parlementaire du Bloc Québécois

2 commentaires:

  1. En parlant de la fameuse formule de l’article 51(1), – amendement à l’AANB de 1974 assez compliqué d’ailleurs – , il semble qu’il tentait de préserver certains ratios de représentativité par province – grande et petite -.. et à garantir au Québec un représentation grandissante…
    Cet article a–t-il été reconduit dans l’acte de 82? Est-il toujours en vigueur?
    http://www.solon.org/Constitutions/Canada/English/ca_1974.html
    1.
    There shall be assigned to Quebec seventy-five members in the readjustment following the completion of the decennial census taken in the year 1971, and thereafter four additional members in each subsequent readjustment….

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  2. Monsieur,
    La version du libellé de l’article 51 de 1974 que vous citez a été modifiée en 1986. Les dispositions de 1986 ont eu pour effet de garantir au Québec un nombre minimal de 75 sièges ce qui le met à l’abri d’une diminution de son nombre de sièges en cas d’une diminution de son poids démographique. Ce nombre de sièges pourrait être augmenté dans l’éventualité d’une augmentation de la population québécoise, mais cette modification ne pourrait se faire sans l’accord exprès du Québec. Notons enfin que le nombre de sièges que possède une province à la Chambre des communes ne peut jamais être inférieur au nombre de sièges de sénateurs que cette même province possède. Dans le cas du Québec ce nombre de sénateurs est de 24.
    Ce qui fait problème avec le projet des conservateurs qui veulent augmenter de 20 sièges la représentation à la Chambre de communes c’est que ce faisant le poids politique du Québec dans le Parlement ne cesse de se réduire. Peu importe que l’on garantisse 75 sièges au Québec, si le nombre total des sièges à la Chambre des communes continu lui, d’augmenter il est clair que viendra un jour où le poids du Québec deviendra insignifiant.

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