mercredi 26 mai 2010

Nouveau bras-de-fer entre l'opposition et le gouvernement conservateur


(*) Un nouveau bras de fer s’est engagé entre l’opposition et le gouvernement. Cette fois-ci l’objet de la controverse est de savoir si les comités permanents de la Chambre ont le pouvoir de contraindre des citoyens à témoigner et à produire les documents que les membres du comité jugent nécessaires pour effectuer leur enquête. Mardi dernier, le leader du gouvernement lors d’une déclaration ministérielle a soutenu que le personnel politique n’était pas contraignable et a donc refusé que des membres du personnel politique conservateur se présentent devant les comités. Nous vous présentons ici le discours de Pierre Paquette, le député de Joliette et leader parlementaire du Bloc Québécois en réponse aux prétentions du gouvernement.


Monsieur le Président,
Je suis extrêmement déçu d'avoir à me lever à la Chambre ce matin pour intervenir sur une déclaration ministérielle, ce qui n'est qu'une autre illustration du profond mépris qu'a le gouvernement conservateur envers le Parlement, les institutions qui le composent et la démocratie tout court.

Je me permets d'abord de déplorer que, contrairement à la pratique longuement établie à la Chambre, le leader du gouvernement a refusé de nous remettre le texte de sa déclaration ministérielle à l'avance, ce qui n'est pas vraiment étonnant. Comme on a pu le voir dans cette déclaration, un des arguments prétendument massue du gouvernement pour édicter une nouvelle directive voulant que le personnel politique des ministres et du premier ministre ne témoigne plus en comité est le caractère tyrannique du comportement de l'opposition.

Je pense que le public qui nous écoute pourrait déterminer très facilement qui, de l'opposition ou du gouvernement, a déclenché des élections en septembre 2008 pour ne pas avoir à rendre des comptes au Parlement, malgré la Loi électorale du Canada qui stipule que les élections doivent être tenues à date fixe.

En décembre 2008, qui a demandé la prorogation pour éviter de se faire défaire par l'opposition? C'est le gouvernement conservateur. Qui, en décembre 2009, a encore demandé la prorogation pour éviter de donner les documents que lui avait demandés la Chambre le 10 décembre dernier dans une motion? Il est très clair que c'est encore le gouvernement qui a des comportements tyranniques, et non l'opposition, qui fait simplement son travail.

Une des dernières fois que je me suis levé à la Chambre, c'était pour me prononcer sur l'entente intervenue le 14 mai dernier à la suite de votre décision du 27 avril sur les documents concernant des allégations de torture en Afghanistan. J'ai alors dit souhaiter qu'il y ait dorénavant un meilleur équilibre entre l'exécutif et le législatif. Plusieurs experts et des députés de l'opposition, dont des députés du Bloc québécois, considèrent qu'il y a actuellement un déséquilibre encore plus manifeste avec le gouvernement conservateur, où l'exécutif a beaucoup trop de pouvoirs par rapport au législatif. Et on en a une belle démonstration par la déclaration de ce matin.

Manifestement, malgré la décision historique que vous avez rendue le 27 avril dernier, le gouvernement n'a toujours pas compris le rôle du Parlement dans notre régime parlementaire. C'est pourtant énoncé très clairement dans votre décision du 27 avril: le rôle du Parlement est de demander des comptes au gouvernement. C'est ce que l'opposition, le Bloc québécois en particulier, a bien l'intention de faire.

Pour ce faire, le Parlement dispose de larges pouvoirs. À cet égard, la page 136 de la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes est citée dans votre décision:
Selon le préambule et l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement jouit du droit de procéder à des enquêtes, d'exiger la comparution de témoins et d'ordonner la production de documents, des droits essentiels à son bon fonctionnement. Ces droits sont d'ailleurs aussi anciens que le Parlement lui-même.

Il est clairement établi que les comités parlementaires ont le pouvoir de convoquer des témoins.

Le O'Brien-Bosc, à la page 975, nous apprend que ce pouvoir n'est pas circonscrit: « Le Règlement ne prévoit pas de limitation [...] à ce pouvoir. En théorie, il peut s'appliquer à tout individu se trouvant au Canada. »

Toutefois, dans la pratique, il faut bien admettre que ce pouvoir connaît certaines limites. Un comité ne peut pas convoquer une personne qui n'est pas au Canada. Il ne peut pas non plus convoquer des parlementaires d'autres Chambres législatives protégés par le privilège parlementaire. Il ne peut pas non plus convoquer un député ou un sénateur de ce Parlement, pas plus que la gouverneure générale et les lieutenant-gouverneurs.

Depuis qu'on a appris que le leader du gouvernement allait nous lire cette déclaration ministérielle ce matin, j'ai bien cherché, et nulle part il n'est fait mention d'une exception qui s'appliquerait au personnel politique, et encore moins au personnel politique du gouvernement conservateur.

Pour justifier sa décision, le gouvernement, outre le fait que l'opposition aurait un comportement tyrannique, invoque le principe de la responsabilité ministérielle. Ce principe est défini ainsi dans le O'Brien-Bosc, à la page 32:
[...] que les ministres doivent rendre compte au Parlement. [...] Le principe de la responsabilité individuelle veut que les ministres soient comptables non seulement de leurs décisions comme chefs de ministère, mais également des actes de leurs subordonnés.

Ce principe veut dire qu'ultimement, le ministre est responsable des actes et des erreurs de ses subordonnés. Or, le gouvernement essaie de détourner le sens de ce principe. Selon ce principe, les subordonnés du ministre, ce n'est pas seulement son personnel politique, mais aussi l'ensemble du personnel du ministère dont il est responsable.

Or, ce principe de responsabilité ministérielle n'a jamais voulu dire et ne dira jamais que les subordonnés en question ne peuvent pas venir témoigner en comité. En effet, si on suit la logique du gouvernement, cela devient totalement absurde. Est-ce que cela veut dire que dorénavant, aucun fonctionnaire ne pourra venir en comité parlementaire pour expliquer un projet de loi du gouvernement, un programme ou une dépense?

En empêchant le personnel politique de témoigner, cela veut dire que le Parlement n'aura plus accès aux personnes qui sont les plus proches du pouvoir au quotidien et que ces dernières ne lui seront plus redevables.

Alors, la logique conservatrice est totalement contradictoire: plus on est proche du pouvoir, moins on est imputable. C'est exactement ce qu'on voit dans cette déclaration et ce n'est malheureusement que le dernier stratagème du gouvernement conservateur pour ne pas rendre des comptes. À nouveau, c'est un mépris incroyable face aux besoins du Parlement, ses pouvoirs et ceux de la démocratie.

Le ministre des Ressources naturelles a dit dans les médias hier que ce n'est pas au personnel politique de témoigner, que c'est aux ministres de le faire.

Est-ce que cela veut dire que le premier ministre va se présenter au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, à 11 heures, au lieu de Dimitri Soudas? Est-ce que c'est ce que nous dit la déclaration et ce que laisse entendre la dernière phrase de la déclaration ministérielle?

Est-ce que le premier ministre va être là, à 11 heures, au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique?

En réalité, ce que le gouvernement vient de faire, c'est d'inventer un nouveau stratagème pour empêcher le Parlement de faire son travail. La vérité, c'est que le comité parlementaire ne peut pas contraindre un ministre à témoigner. La vérité, c'est que quand le sujet est trop délicat, les ministres conservateurs refusent de venir témoigner devant les comités.

La vérité, c'est qu'il y a quelques semaines seulement, le ministre des Ressources naturelles, celui qui déclarait hier que c'était au ministre, en vertu de sa responsabilité ministérielle, d'aller témoigner en comité, a refusé de venir témoigner sur l'affaire Jaffer.

La vérité, c'est que le gouvernement a un profond mépris du Parlement, des institutions et de la démocratie et qu'il cherche à l'heure actuelle à créer de toutes pièces une autre crise parlementaire afin de ne pas répondre de ses actes. Le Bloc québécois et j'espère tous les partis de l'opposition ne le laisseront pas faire, d'autant plus que cela interpelle la confiance envers le gouvernement.


Discours intégral de Pierre Paquette en réponse à la déclaration ministérielle sur les comités faite par le leader du gouvernement à la Chambre des communes le 25 mai 2010.

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